D’habitude, ce genre d’histoire se passe dans un monde imaginaire, peuplé de bons et de méchants, et où les bons finissent toujours par l’emporter. Parfois, cependant, il arrive que ces histoires soient bien réelles et nous emmènent non pas dans des univers féeriques et fantastiques, mais dans des endroits familiers tels que nous en connaissons tous. Une simple maison, avec des enfants, des adultes, des amis et des ennemis. Certaines de ces histoires sont tristes, d’autres pleines de gaieté. Un seul point commun les rassemble : la vie. La vie, faite de joie et de peines, d’amour et de haine. La vie comme on l’oublie parfois : terriblement belle mais tout aussi cruelle. Et également remplie de rêves.
Car tout commença par un rêve.
Voici la fabuleuse aventure de Tom Horse.
A vrai dire, Tom Horse vécu une enfance pareille à celle de tous les enfants. A ce détail prêt qu’il aurait aimé, oui vraiment aimé voir un peu plus son père. Celui-ci était routier, et bien sûr, lorsque l’on est routier, on est plus fréquemment sur la route que chez soi. Bien sûr, sa mère était toujours présente au moindre ennui, conseil ou besoin. Mais qu’est-ce qui peut remplacer un père si ce n’est son ombre ? Rien. De fait, c’était toujours avec une petite pointe d’amertume qui peignait le cœur de Tom lorsque celui devait se rendre avec sa mère lors des fameuses réunions parents-professeurs dont nos collèges et lycée raffolent tant ! Certes, ce n’était jamais bien agréable d’aller à ses réunions, mais Tom se disait que peut-être, si son père avait été présent à l’une d’ entre elles, peut-être aurait-on pu y voir un sourire se dessiner sur son visage.
Oh bien sûr, il arrivait au père de Tom de revenir à la maison. Et quelle joie de le revoir, quelle fête ! Se jeter dans ses bras, sentir son cœur battre plus rapidement que d’habitude… oui, c’était mieux quand papa était là. Tom se rappelle que lorsque les grandes vacances arrivaient, son père l’emmenait parfois en voyage sur la route. Ces moments-là restent de grands et beaux souvenirs. La première fois, il avait fallu grimper jusqu’aux sièges, puis découvrir cette véritable petite maison sur roue dans lequel son père passait la plus grosse partie de son temps. Ainsi, c’était cela son monde. Petit certes, dans ce que Tom appelait une cabine, mais à peine y avait-on monté à l’intérieur qu’on ne pouvait que sentir cette protection, cette fierté propre à tous les enfants dont les parents leur montre leur univers. Lui aussi en faisait parti désormais !
Lors de ce même voyage, Tom se rappelle avoir croisé un cheval. Oui, je sais bien, il n’est pas rare de croiser des chevaux lorsque l’on est sur la route, mais que dire de celui-ci, si blanc, si beau ! L’espace d’un instant, Tom avait même cru voir des ailes et une corne sur la tête du cheval, un peu comme ces licornes que l’on trouve dans ces contes pour enfants. Mais ce n’était pas possible, ce ne pouvait être une licorne, tout le monde sait bien que celles-ci n’existent pas. Pourtant, Tom avait gardé les yeux grands ouverts, il n’avait pas pu rêver… Mais alors que s’était-il exactement passé ?
Tom avait maintenant vingt ans. Mais il avait su garder son âme d’enfant. Par moment il lui arrivait encore d’aller au cinéma, mais son spectacle préféré demeurait obstinément le cirque, même si pour la plupart des adolescents de cet âge considèrent cette distraction comme alors dépassée, voire disons-le crûment, ringarde. Eh oui, il est des âges où l’on veut à tout prix jouer les adultes !
Tom, lui n’avait que faire des autres, son plaisir était d’aller dans ces endroits merveilleux et magiques que sont les cirques, s’asseoir sur un siège et rire, voire rire aux éclats les autres enfants présents tout autour de la piste. Oh, et toutes ces couleurs, tous ces ballons verts, bleus, rouges, ces équilibristes qui voguent dans le ciel, ces dresseurs de tigres et d’éléphants, ces jongleurs, non, vraiment comment ne pouvait-on pas aimer le cirque ? Et puis ils étaient là eux aussi… eux ? Oui, eux, les clowns, ceux qui ont pour but de vous faire rire, et qui, parfois, sont bien tristes également. A cette différence prêt qu’ils peuvent à toute époque cacher cette tristesse du cœur, la dissimuler derrière un maquillage. En effet, qui peut voir les larmes d’un clown ?
C’est en sortant de ce cirque que la vie de Tom Horse a basculé.
Chevauchant sa nouvelle moto – son cheval magique dans sa tête – le spectacle finit, il reprit alors le chemin de la maison. Oh, comment pourrait-il l’oublier, cet accident ? Il ne faisait pourtant pas nuit, la visibilité de cette route à quatre voies était on ne peut mieux dégagée. Tom roulait, vite, comme tous les jeunes de son âge, un peu trop peut-être. Mais rien de ce qui suivit ne fut de sa faute. En effet, ce camion, cet immense compresseur de fer, était-il venu d’outre-tombe ? De l’enfer ? A son réveil, Tom ne se souvint de pas grand chose. Ce camion lui avait coupé la route comme s’il n’avait jamais existé. Mais Tom s’était bel et bien trouvé sur son chemin…
Aussi incroyable que cela paraisse, c’est sur Tom que revinrent tous les torts. En fait, on le cru longtemps mort, et il est si facile d’accuser un mort… Mais heureusement pour nous, il n’en était rien. Mort, Tom ne l’était pas. En revanche, il avait perdu définitivement l’usage de ses jambes. Son père se mit alors en tête de laver son fils de ces accusations. Comme on le comprend ! L’un de ses amis lui prêta alors la réplique exacte du camion incriminé, et bien vite, l’on comprit que seul le camionneur fou pouvait être responsable de ce tragique accident.
Combien de temps Tom pleura-t-il dans cette chambre d’hôpital, nul ne le sait vraiment. Toutefois, depuis son accident, certains rappellent à qui veut bien l’entendre que cette étrange statue posée dans sa chambre n’était pas là auparavant, avant l’accident. Cette étrange statue qui hante désormais sa maison et qui représente un bien drôle de clown.
Les jours à l’hôpital furent longs, très longs même comme vous vous en doutez. Tom était perdu, qu’allait-il faire ? Qu’allait-il devenir ? Souvent, il regardait l’horizon par la fenêtre et espérait que tout cela n’était qu’un rêve, un très mauvais rêve. Qu’il allait bientôt se réveiller en sursaut et que tout redeviendrait comme avant, comme lorsqu’il pouvait encore marcher. Mais il ne se réveilla jamais de ce rêve là. Pourtant, pourtant, comme chacun d’entre nous, alors que le crépuscule venait frapper à la porte de son sommeil, en fermant les yeux, il lui arrivait de partir, de partir loin, si loin… dans des lieux inconnus où personne n’était encore jamais allé avant lui.
Laissez-moi vous raconter ce bien étrange voyage…
Tom se trouvait sur cette île, une petite île désertique entourée de toutes les mers et de tous les océans que vous puissiez être capable d’imaginer. Un drôle d’arbre se trouvait également sur cette île. Cet arbre semblait avoir passé les milles dernières années de sa vie sur cette île, et à vrai dire, c’était peut-être effectivement le cas. Ses branches, son tronc, pas une feuille ni un fruit n’y vivaient dessus.
Lorsqu’on regardait à l’horizon - et lorsqu’il n’y avait pas de brouillard - on pouvait y apercevoir une fabuleuse montagne baignée par un soleil d’or que ne cachait pas une lumière aveuglante. Et puis, juste à côté, faisant des vas et viens sur le rythme des vagues, une barque, toute petite, avec deux rames, et aucune corde qui la retenait à la terre ferme. « Echouée », voilà comment Tom décida de d’appeler. Cependant, qu’est-ce que cela pouvait bien signifier ? Une île, une barque, une montagne mystérieuse et un arbre mort. Tout cela devait bien avoir un sens, mais lequel ?
Tom fit alors ce qu’il lui semblait le plus évident. Monter sur la barque et naviguer jusqu’à la montagne mystérieuse. La mer était calme, mais étrangement, elle était aussi peu profonde que la hauteur d’un verre à pied ! Jamais il ne pourrait naviguer sur cette eau, c’était impossible, et pourtant ! Le voilà qui avançait imperceptiblement dans les mers inconnues. Hélas, rongé par l’inquiétude et la faim, il ne put guère faire mieux que quelques kilomètres. Las, il décida de s’abandonner à son sort, lequel, gageons-le, se montra fort clément. En effet, se laissant pousser par le vent, l’embarcation revint alors à son point de départ.
Tom sentait le découragement se propager de plus en plus dans son esprit. Y aurait-il eu quelques fruits sur cet arbre que cela aurait pu le remettre d’aplomb, mais non, rien y fit, il était dit que rien ne pousserait jamais plus sur cet arbre, du moins, s’il y avait déjà poussé quelque chose ! C’est alors qu’il se passa quelque chose d’incompréhensible, de surnaturel. La violence du vent redoubla, et aussitôt les eaux se mirent à gonfler, gonfler jusqu’à engloutir l’île. Tom se précipita sur la barque et le miracle se produisit. Oui, Echouée avançait comme jamais, de plus en vite, toujours toujours plus vite. Rapidement il fut en vue des montagnes secrètes, et lorsque enfin il posa pied sur cette nouvelle terre, un ardent rayon de lumière illumina sa chambre d’hôpital ! Tom se réveilla péniblement, tentant de comprendre ce rêve qui ne lui avait jamais semblé un…
Pourquoi les eaux s’étaient-elles mise si soudainement à gonfler ? Est-ce que l’eau représentait tout simplement ce que l’on appelle…l’envie ?
Ne vous est-il jamais arrivé de vous poser la question de savoir si dans la vie tout n’est question que de hasards, coïncidences ou de destinée ? Qui sait que ce qu’il vous arrive n’est-il pas simplement planifié et orchestré du début jusqu’à la fin ? C’est en effet la question que l’on serait en droit de se poser si l’on s’en réfère aux biens surprenantes aventures de notre héros. Qui aurait pu songer que cet accident qui lui coûta ses deux jambes lui permit de se retrouver dans un hôpital dans lequel l’amour viendrait frapper à sa porte ? Bien peu de monde, vous ne croyez pas ?
Peu de monde, oui, et surtout pas Tom Horse dont la vie avait depuis l’arrivée de ce camion maudit, pris une toute autre direction. Pourtant, elle était là, belle et gracieuse comme
un papillon fraîchement sorti de la rosée matinale. Elle s’appelait Gabrielle et elle était incroyablement douce comme seules les infirmières savent l’être, ou tout du moins, certaines !
Les cheveux bruns de la nuit, des yeux bleus venus du ciel, oh, elle n’était pas bien grande mais ce qui se dégageait d’elle devait lui valoir bien des jalousies chez ses confrères ! C’était d’ailleurs l’une des plus aimées autant du personnel que des malades, qui, voyant ce doux sourire posé son visage, ne pouvaient que reprendre goût à la vie ! Et c’est exactement ce qu’il se produisit avec notre ami Tom. A cette exception prêt que cette fois-ci, la belle infirmière non plus ne resta pas insensible aux charmes de ce séduisant jeune homme dont la vie venait pourtant d’être brisée en deux.
Peut-être vous demandez-vous ce qu’il suivit de cette histoire ? A vrai dire, les premiers temps furent on ne peut plus heureux. Un mariage et un enfant, Michael, vinrent bien vite couronner d’amour cette formidable passion qui entoure deux êtres, et Tom, bien loin de se douter de ce qui allait encore lui arriver, ne fut, semble-t-il jamais plus heureux de toute sa vie. Hélas, mille fois hélas, celle-ci ne saurait être aussi facile, aussi simple que l’on aimerait qu’elle le soit.
Gabrielle, cette femme si douce et si charmante avait pourtant ce que l’on pourrait appeler une sorte de point faible. En effet, comment ne pas parler de ce père, à l’apparence si fraternelle et qui pourtant n’était pas ce que son visage et ses mots exprimaient. Cependant, les premières réunions familiales se passèrent on ne peut mieux. Mais bien vite Tom remarqua quelque chose dans la conduite de sa femme et de son beau- père qui allait s’avérer très dangereux pour la survie de leur couple. Dangereux, sinon fatal.
Le père de Gabriel, ténébreux et charismatique, robuste et possessif et qui se prénommait Victor, avait- il est vrai – hélas - une étrange influence sur sa fille. Celle-ci, certes grandement amoureuse de Tom n’en était pas moins sous l’entier contrôle de son père…
A vrai dire, Victor avait un pouvoir. Oh, bien sûr, je vous entends rire d’ici mais songez-bien que je pèse chacun de mes mots. Un pouvoir ? Oui, pas ce genre de pouvoir qu’ont les super-héros que l’on voit à la télé ou dans les films, pouvant déplacer les montagnes ou éventrer un immeuble en deux d’un simple regard ou claquement de doigts. Non, je vous parle de ce pouvoir qui pénètre en vous pour ne plus jamais en repartir. Victor avait ce pouvoir. Celui de vous faire croire à l’incroyable, à l’impensable, bref, à l’impossible ! Et le plus étonnant de tout cela est que Tom lui-même, oui, notre Tom, se laissa berner par cet homme décidément sans scrupules et se mit à avaler les mêmes balivernes que sa femme.
Vous vous demandez sûrement ce que Victor réussissait à faire croire à ce qu’il appelait sa « famille ». Eh bien, à peu près tout ! Par exemple, s’il y avait un avis à donner sur quoi que ce soit, vous pouviez être sûr que le sien était le meilleur. L’éducation de Michael ne se faisait pas sans heurts, loin s’en faut, quand c’est le grand-père qui décide de ce qui est bon ou ne l’est pas pour l’enfant. Et Gabrielle, que disait -elle ? Pas grand chose à vrai dire, elle acquiesçait, voilà tout. Elle disait oui à tout ce que disait son père et rares étaient les décisions qu’elle prenait par elle-même, c’est dire le contrôle qu’exerçait cet homme sur sa fille.
Tom resta donc longtemps, très longtemps aveugle également. Cependant, alors qu’ils se trouvaient tous réunis dans le jardin de la maison, assis autour d’une table, la tournure que prit la conversation interpella Tom. Voici, en quelques mots, quelle en était la teneur. Tom, tenant amoureusement Gabrielle par l’épaule, dit alors :
« - Je suis vraiment content de Michael, ses progrès sont fulgurants.
-
Oui, c’est vrai, répondit Victor, ce jeune homme ne manque pas de bon sens.
-
Je trouve aussi. D’ailleurs, nous sommes tellement en confiance que nous pensons lui faire bientôt un petit frère, ou une petite sœur, qui vivra verra ! Et Tom de regarder Gabrielle l’amour en fleurs dans leurs yeux.
-
Il n’en est absolument pas question.
-
Pardon ?
-
Je dis que vous ne le ferez pas. Je vous l’interdis. Tom n’en croyait pas ses oreilles. D’habitude, il aurait acquiescé sans rien dire, mais cette détermination, cette lueur de rage qui se propageait dans les pupilles de cet homme lui glaça soudainement le sang. Gabrielle, elle, avait seulement pris note de la décision et semblait l’accepter comme une élève écoute son maître d’école dire la marche à suivre pour tel ou tel énoncé.
-
Mais pourquoi ? Pourquoi est-ce si mal selon de vous de lui faire un frère ou une sœur ?
-
Ecoutez, le moment n’est pas venu, c’est tout. Ne discutez pas. Je vous dirais quand cela sera possible ».
Voilà, voilà en quelques mots quelle fut cette horrible conversation qui sortit lors de cette après-midi ensoleillée. Ainsi, en un instant, toutes les croyances de Tom, toute la confiance qui l’habitait disparut en l’espace de quelques secondes, tel un foudroyant ouragan qui allait bientôt tout emporter sur son passage…
Souvent, quand on est encore qu’un petit enfant, on fait de nombreux rêves. Bien sûr, on sait que ceux-ci n’arrivent que très rarement mais parfois, comme si un peu de magie s’était répandue sur votre berceau, il arrive que certains d’entre eux prennent forme. Quand on est adulte, ces rêves sont toujours là, prisonniers quelque part en vous, sans doute dans votre cœur à vrai dire.
Tom Horse avait réussi là où tant d’autres avaient échoué, c’est à dire que ces rêves les plus fous s’étaient réalisés et il avait envie de crier à la terre entière son bonheur. Cependant, comme vous le savez tous, à la fin d’un rêve, il y a toujours le réveil. Pénible, amer, voire quelquefois monstrueux.
Non, pour Tom, cela n’était pas un rêve et sa femme allongée prêt de lui, dans leur lit, alors qu’il se réveilla lui fit alors ressentir combien la vie pouvait être douloureuse. Cette femme dont l’innocence ne pouvait que vous émouvoir était pourtant celle qui vous faisait naître tant et tant de larmes. Car, en effet, comment aimer une femme qui n’est plus vraiment la vôtre ? C’était en tout cas ce que ressentait Tom alors qu’il la regardait endormie. Il se rendait soudainement compte que l’amour entre deux ne serait jamais vraiment possible. Depuis toute petite Gabrielle était hypnotisée par son père qui tirait sans vergogne les ficelles de ce qui pour lui n’était rien d’autre qu’une marionnette.
Souvent, quand on veut croire fort, si fort en un rêve, inconsciemment, on fait semblant que tout va bien, que l’on vit dans le plus merveilleux des mondes. Parce que l’on a
tellement souffert avant qu’une nouvelle blessure serait encore plus atroce que jamais. Et c’est bien normal, car qui aime souffrir ? Tom avait eu cet accident, jamais plus il ne marcherait, il le savait, et c’était là un combat qu’il avait dû remporter seul avec l’aide de celle qui deviendrait sa future épouse. Oui, alors qu’il n’y croyait plus, on lui avait tendu la main, on lui avait dit que non, il n’était plus seul désormais pour continuer cette étrange aventure qu’est la vie. Quelqu’un serait dorénavant à ses côtés et ce quelqu’un ne pouvait que le rassurer.
La lumière du matin traverse doucement les rideaux et embrasse la peau d’ivoire de ce qui fut autrefois de l’amour. Mais l’amour est parti, en fumée, avec ce père gourou. La femme idéale, Tom Horse ne l’avait pas rêvée, non, mais il l’avait inventé. Il avait chacune des qualités qu’il espérait un jour trouver chez la femme … de ses rêves. Oh, elle n’était pas méchante, croyez le bien, mais tout comme lui, elle vivait dans un autre monde, celui de Victor, pas celui de Tom.
Et ce merveilleux rêve s’était alors transformé en cauchemar.
Tom devait se réveiller. Et vite.
Après, il serait trop tard.
N’avez-vous jamais remarqué que la plupart des histoires fabuleuses sont parsemées de personnages pour le moins peu fréquentables et qui, souvent, n’ont d’autre but que de vous empêcher d’être pleinement heureux ? Comme si ce bonheur les renvoyait à leur propre malheur. Il y a des mauvais génies partout, et dont les sourires de façade ne masquent qu’une profonde tristesse et un profond désarroi. Des mauvais génies qui n’ont pas eu la vie qu’ils souhaitaient, qui ont souffert en silence, seuls. Qui se sont égarés dans les méandres de l’amertume, et qui ne veulent désormais plus être les seuls à souffrir. Victor était sans doute l’un de ceux-là, bien que personne n’ait jamais vraiment sondé les abîmes de son cœur.
Bien sûr, nous n’avons pas pour but de nous apitoyer sur le sort d’un être aussi maléfique, mais plutôt de comprendre quelles sont ses motivations. Tom Horse a toujours soutenu –et soutient encore plus que jamais- que nul n’est complètement mauvais, et, qu’au fond de chaque cœur se trouve de l’amour, même s’il est vrai que parfois, il faut creuser, creuser, creuser encore plus profond où nul n’est jamais allé.
Ce qu’il y a de plus embêtant avec ces mauvais génies, c’est qu’ils sont des plus envoûtant, un charme auquel bien peu peuvent résister. Tom était de ceux-là. Sa nature généreuse le poussa dans les bras du Mal et comme souvent, le Mal s’est montré séduisant, disant à Tom tout ce que celui-ci avait envie et besoin d’entendre : que son bonheur rejaillissait sur toute la famille, que sa femme et son fils étaient des personnes formidables. Comment ne pas croire quelqu’un qui vous dit tant de bien ? Impossible de ne pas succomber, impossible, ou presque.
L’on dit que seul un mauvais génie reconnaît un mauvais génie. C’est pourquoi il aura fallu à Tom pas moins de sept années avait qu’il n’ouvre les yeux, qu’il se rende compte combien il avait été trompé. Pourtant, les mensonges de Victor s’avéraient si énormes que vous auriez sans doute du mal à comprendre comment une personne aussi sensée que Tom a pu les croire. Prenons cet exemple-ci : d’après Victor, une invasion de la mer rouge était programmée depuis la nuit des temps par les extra-terrestres ! Oh, bien sûr, je vous entends d’ici, je vous entends dire que vous n’auriez pu contenir votre rire face à celui qui vous assenait cette drôle de vérité. Mais rire est une chose, se trouver dans la peau d’une personne en est un autre. Et qui aurait été dans la peau de Tom Horse ne serait-ce que quelques jours à cette poque-là ne se serait sans doute pas esclaffé à l’écoute de ce récit d’invasion. Car le magnétisme de l’homme était grand.
Enfin, croyez-moi cette fois encore, mais je connais bien peu d’hommes qui ne soient sensibles aux compliments. Vous les croyez les compliments que l’on vous fait ? Oui, bien sûr que vous les croyez…puisqu’on vous les dit.
Il est des combats, il est des victoires au goût bien amer. Celle que mena Tom Horse contre lui- même eut ce goût-là. En effet, combien de courage et de volonté lui fallut-il pour se mesurer à l’être le plus monstrueux qu’il ait jamais rencontré sur sa route ? Il avait du réagir, ou mourir. Et des deux, il avait choisi le premier. Car où le menait ce chemin désormais sans issu quand on a les yeux ouverts ? Que lui apporterait un amour factice, auquel plus personne ne croit sinon dans le mensonge ?
Face à l’adversité, l’indien est toujours serein. La mort est présente à chaque instant et lui faire face est le plus bel hommage qu’on puisse faire à la vie. C’est se donner corps et âme, feu et flammes à ce qui fait le sel de notre existence : l’amour. L’amour, quel plus combat que celui-ci ? Combien de défis serait-on prêt à relever pour lui ? Lui et son fils. Car Michael était désormais au centre du monde, de leurs mondes à tous.
Divorcer n’est jamais une chose aisée, et encore plus lorsque la vie d’un enfant se voit scindée en deux. A cette époque-là, Michael n’était pas bien grand, à peine huit ans. Mais même un enfant de huit ans ressent la peine que peuvent éprouver ses parents, et surtout la sienne. Faire du mal à son propre enfant, c’était bien la dernière chose auquel l’on pense. Mais il est des vies qui ne prennent pas toujours le chemin que l’on voudrait. Tom Horse devait se séparer de Gabrielle, coûte que coûte et il devait se battre pour son fils, à travers les espoirs et le doute.
Dans les premiers temps, il était naturel pour tous que Michael aille vivre chez sa mère, le handicap de Tom n’étant pas fait pour améliorer sa position. Mais tout n’était pas fini, non, bien au contraire, tout venait justement de commencer. Tom allait se battre pour la garde de son enfant, quel que soit le prix à payer.
Mais avant de livrer cette dernière bataille, Tom se rendait régulièrement dans la maison de son ex- femme afin de voir leur fils, prendre des nouvelles, jouer, jouer et rire, un peu comme si c’était avant. Mais Gabrielle ne vivait plus seule, et pourtant rien n’avait vraiment changé puisque c’est chez parents qu’elle s’en alla se réfugier…
Tom eut beaucoup de peine ce jour-là. Il s’en rappelle encore et encore… Lorsqu’il sonna à la porte, Gabrielle lui annonça que le petit était malade. « Mais ça ne m’empêche pas de le voir ! » protesta avec véhémence Tom. Malade Michael ? Alors comment se fait-il que Tom ait pu apercevoir furtivement son visage derrière le rideau de la fenêtre avant que celui-ci ne disparaisse sous l’insistance de ce qu’il considérait autrefois comme sa belle-mère.
«- Ils me disent qu’ils vont appeler la police si tu ne pars pas, lui dit alors Gabrielle.
Les larmes envahissaient les pupilles de Tom. Son poing se serra de rage. Mais il n’en fit rien. Cette colère pourrait le priver encore plus de son fils. Car il restait encore une chance. Les tribunaux n’avaient pas encore tranché.
L’indien repartit sans un bruit. Dans sa tête, le combat allait être sans merci.
Dans la vie, il y des scènes que l’on oublie pas. Des scènes qui vous marquent de leur sceau fatal. Drôles, parfois émouvantes ou cruelles, elles sont ce que la vie est. Ce jour-là, Tom Horse était loin d’imaginer que ce qui se passerait dans cette pièce resterait gravé en lui comme une cicatrice indélébile, de ces blessures qui ne se referment jamais vraiment.
Cela se passa chez le juge, il voulait se battre pour la garde son enfant. Devant cette femme aux cheveux poivre et seul, qui l’accueillit avec rien de moins qu’un regard hautain, Tom Horse exposa longtemps ses arguments qui, pensaient-ils allaient lui donner raison. Une heure durant laquelle cette juge – puisque, paraît-il, c’est ainsi qu’on l’appelle – ne montra aucun signe d’intérêt à ce que pouvait bien lui raconter cet homme détruit devant lui. Que faisait-elle ? Oh, eh bien, elle se « contentait » de mâchouiller son crayon, d’acquiescer quelque fois, de regarder ses notes et son ordinateur. Quelle indifférence à la souffrance ! Oh, combien Tom était déçu de ce comportement ! Enfin, quand notre héros eut finit de parler, la seule chose que cette dame trouva à dire, d’un ton sec, fut « c’est bon, c’est fini ? ». Tom resta interloqué un long instant. Bouche bée, il ne trouva rien à répondre devant quelqu’un qui, à l’évidence, se fichait totalement de son problème. Il se tourna vers son avocat qui, lui, regarda sa montre, comme si la vie d’un enfant était moins importante qu’un déjeuner ou qu’un rendez-vous chez le coiffeur !
Tom repartit donc la tête basse et le cœur lourd. Il le savait, jamais il n’obtiendrait la garde de son enfant. Cette juge lui apparaissait plus comme un boureau qu’un défenseur de la justice ! Et son avocat…de la même trempe tous les deux, oui, du pareil au même, ne compte que l’argent du client, la vie d’hommes, femmes et enfants défilent sous leurs yeux comme autant de tiroirs-caisses et de compte en banque pour les prochaines vacances. Bien sûr, tous,
heureusement, ne sont pas comme cela. Sauf pour Tom. Pour lui il ne voyait derrière tout ça qu’une machine à broyer les gens.
Gabrielle, Victor et tous les autres pouvaient afficher un sourire de circonstance. Un sourire moqueur, narquois. Tom, voyant que son ex-femme non plus ne se décidait pas à ouvrir les yeux compris toute la cruauté de la situation… Et alors qu’il franchissait un à un les couloirs du palais de justice, il ne pensait qu’à son fils, au visage de Michael que désormais, il en était hélas certain, ne reverrait plus guère souvent.
Quand Tom rentra chez lui, il passa de longues journées et nuits à pleurer. Pourquoi le sort s’acharnait-il contre lui, alors qu’il ne voulait que le meilleur pour son fils ? Pourquoi la haine et l’indifférence des gens se révélaient des armes plus fortes que l’amour et la justice ? Pourquoi cette société ne comprenait pas ? Pourquoi, pourquoi ?
Ces questions, Tom Horse se les est posées bien souvent, sans trouver de véritable réponse. Dire que c’est la vie, que le monde est ainsi fait ? Non, pour lui, tout cela n’avait aucun sens. Décidément, il n’y avait plus qu’une chose à faire…
Que le hibou se terre dans son trou.
Dans le jardin de Tom Horse se trouve un vieil arbre centenaire. Un jour, à son pied, on y a trouvé ce poème. Tom a toujours nié en être l’auteur. Cependant, rien n’est moins sûr. En effet, en le lisant, on ne peut que s’interroger. Voici ce qu’il y avait écrit :
Le hibou n’était pas mort
Demande d’un autre sort
Le hibou cherchait la lumière
La sortie de l’enfer
Un autre chemin
Quelqu’un qui lui tende la main.
Sorties de route
L’envie et le doute
Y jeter juste un œil
Essayer de faire son deuil.
Rentrer sortir, rentrer sortir
Peur de l’avenir.
Que se passe-t-il dehors ?
Une plume, une aile, un corps
S’avancer à petit pas
Si l’on veut encore de moi
Moi hibou câlin
Qui voudrait voir des nouveaux matins.
Intriguant, non ? Qu’en pensez-vous ?
Est-ce que vous vous souvenez du cheval blanc dont je vous avais parlé tout au début ? Rappelez- vous… Tom n’était encore qu’un enfant et il voyageait dans le camion de son père quand soudain, courant dans une magnifique prairie verte, il avait vu ce cheval, ou plutôt cette licorne, car c’est ainsi que l’on appelle les chevaux avec une corne sur le front et des ailes dans le dos !
Ce jour-là, Tom s’était frotté les yeux si fort que le fabuleux animal avait hélas fini par disparaître. Mais le doute persistait. Il persista même toute sa vie. Mais cela faisait maintenant longtemps que notre ami Tom n’était plus un enfant. Ses rêves étaient devenus des cauchemars plus horribles les uns que les autres, hantant, épouvantant ses nuits aussi bien que ses jours. Oh, que n’aurait-il pas donné pour revenir ne serait- ce que quelques secondes en arrière pour pouvoir arranger les choses et faire que cet accident de moto n’ait jamais eu lieu ! Combien il s’y serait alors prit autrement ! Mais la vie est ainsi faite et le passé restera à jamais passé. Pourtant, il y a une chose que Tom voulait absolument changer, à laquelle il ne voulait se résigner. Il voulait rêver à nouveau !
Au fait, il y a peut-être bien une question que vous vous posez depuis quelques-temps et à laquelle je n’ai toujours pas répondu, à savoir ce que faisait Tom comme métier une fois devenu adulte. Eh bien, ne pouvant plus user de ces jambes, Tom avait décidé que désormais ses mains seraient son don le plus précieux et le plus rare de tous ! Et combien avait-il raison ! Sculpteur, tel était le métier auquel il se dévouait depuis son accident. D’innombrables statues virent le jour, représentant parfois des êtres malicieux, parfois d’autres plus méchants ou encore un mélange des deux !
Et c’est ainsi que Domino vit le jour. Domino ? Oui, tel est le nom de ce fantastique cheval autrefois aperçu et qui désormais prendrait corps sous les mains de Tom. Il le fit blanc, comme symbole de la pureté. Certes, il n’y mit ni ailes ni corne sur son front car il ne voulait sous aucun prix qu’on sache que derrière le cheval se cachait une licorne. C’était son secret à lui et personne d’autre ne devait y avoir accès. Personne ? Vraiment ? A voir.
Au fond, Tom n’avait pas autant grandit qu’on aurait pu le croire. Dans son cœur il gardait toujours ses rêves d’enfants, ces rêves de liberté, comme lorsqu’on monte sur le dos d’un magnifique cheval sauvage et qui vous emmène là où personne n’est jamais allé, là où les ennuis et le chagrin n’existent pas. Un lieu magique et féerique dans une réalité bien triste et cynique. Un endroit où, à coup sûr, tous les enfants veulent aller.
Et pas que les enfants…
Ca y est !! Je crois que Tom recommence à rêver !
Ainsi la première partie de la vie de Tom Horse passa-t-elle, avec ses joies et ses peines, ses heurts et malheurs, dans la différence, la souffrance, l’indifférence de ceux qui rêvent tout bas. Oh bien sûr, tout n’était pas noir dans son corps et dans sa tête. Il y avait bien sûr de la lumière, cette lumière qui vous aveugle le regard, et qui ne cesse de grandir dans l’horizon. L’indien n’était pas mort, le hibou bien vivant. Parfois, la vie nous joue de bien drôles de tours qui ne font rire qu’elle-même. Mais que peut-on y faire ? Pleurer sur son sort, baisser les épaules et abandonner la lutte ? Certains, hélas, estimant que le poids à porter est trop lourd et trop injuste, en arrivent à ne plus croire en rien ni personne et surtout pas eux- même.
Sans doute Victor, une fois son suberfuge dévoilé, aurait voulu que Tom soit de ceux-là. Mais dans sa quête de l’infernal, Victor avait oublié que même si les sentiments peuvent parfois être en berne, jamais ils ne meurent vraiment. Souvent, une étincelle suffit, juste un vague pour ranimer la flamme et traverser les tempêtes les plus violentes. Oh, Tom Horse était loin de se douter de ce qui l’attendait dans les années à venir et il me faudrait remplir des livres et des livres entiers de ses aventures pour vous raconter tout ce qu’il lui arriva par la suite. Peut-être aurons-nous la chance de nous recroiser, ainsi, je pourrais vous narrer la suite.
Nous allons donc – pour le moment – nous séparés, en espérant que ce voyage en eaux parfois troubles ne vous a pas trop troublé ni peiné. Notre but était tout simplement de vous faire partager un morceau de vie d’une personne qui nous est chère et dont les aventures ne ressemblent à aucunes autres, c’est le moins que l'on puisse dire !
Dans tout cela, j’ai failli oublier de vous raconter ce qui arriva alors que Tom Horse, endormi, se laissa emporter dans de bien étranges et merveilleux rêves. A quoi rêva –t-il ? Eh bien tout simplement à cette fabuleuse licorne qu’il avait vu dans un champ puis créé de ses propres mains. Il la revoit encore et encore, à la différence prêt, que cette fois-ci, non seulement elle le porte sur son dos, mais elle porte également Michael, assis juste devant son père rit à gorge déployées de voler dans le ciel et de voir en- dessous d’eux tous ces êtres humains qui ne sont guères plus gros que des fourmis. C’est un rêve dont Tom Horse ne voudrait jamais, jamais se réveiller, alors, laissons-lui ce plaisir là et éloignons-nous tout doucement, à petits pas, et laissons-le dormir encore un petit peu…