- Introduction -
"La petite s'est suicidée ce soir. Éteinte la lumière. Éteinte la vierge. Et les flammes qui allumaient à son cierge". Waouh. J'étais en train de lire ce fameux roman de ce mec qui s'était suicidé juste après avoir fini son manuscrit et dont tout le monde parlait à la télé. Waouh, si vous aviez pu le lire ce roman, sûr que vous auriez aimé. Un truc comme ça, c'est obligé que ça laisse des traces, obligé. Bon, j'étais là au creux de mon lit à m'imaginer ce que ça ferait d'être un héros de roman et tout quand je me suis mis à penser sur ce qu'avait été ma foutu vie jusque là et surtout, surtout, j'arrêtais pas de penser à cette fille que je venais juste de rencontrer à l'école - suis au lycée, en seconde, et la fille, une nouvelle, elle s'appelle Justine - et qui était tout ce qu'un gars comme moi voire n'importe quel gars avait jamais rêvé à propos d'une fille. Ouais. Justine était sacrément différente. Pas comme toutes ces autres ahuries qui pensent qu'à leur tonne de maquillage qu'elles se foutent sur leur figure ou bien qui aurait le privilège de se faire remarquer par tel ou tel crétin de la classe.
Justine elle s'en fichait pas mal de tout ça. Comment dire, quand elle marchait y'avait comme une sorte de grâce qui émanait d'elle et tout. Et le pire, c'est que cette même grâce, elle était tout le temps avec elle, et quand je dis tout le temps, c'est tout le temps. Même à la cantine où tout le monde s'arrange pour se dégueulasser le veston tricoté avec amour par sa maman, eh bien elle, elle mangeait si délicatement qu'on aurait dit que la nourriture volait dans l'espace, comme en apesanteur, et ce, jusqu'à sa bouche. Bien sûr, j'me rends bien compte que comme je le dis là, ça a pas l'air terrible mais bon dieu, si vous aviez pu la voir, sûr que vous seriez d'accord avec moi. Le plus étrange, c'était que quoi qu'elle faisait, elle semblait jamais heureuse. Jamais. Y' a toujours un moment dans la journée où y'a un truc qui est sensé nous faire rire -un type qui tombe dans la rue, un gars qui se fait prendre un baffe par une femme ou un type qui se fait engueuler par la maîtresse, ouais, même ça ça me fait rire- mais elle, j'la voyais jamais sourire, toujours super triste et tout.
En fait je crois qu'elle pleurait souvent parce que chaque fois que je la regardais elle se séchait les yeux et la voir faire ça, c'était à vous crever tous les cœurs du monde. Et donc le mien. Et c'est là où j'suis tombé amoureux d'elle. Souvent j'imagine que quand on sera grand on vivra dans une super campagne dans un coin reculé du monde entier où plus personne pourra plus jamais la faire pleurer. On habitera tout en haut du colline et le matin y'aura toujours du soleil sur le côté du lit où elle se réveillera. Bien sûr, on aura un chien et des tas d'animaux et tout. On sera sacrément heureux. Et après on aura tout plein de gosses partout et qui courront dans les plaines et dans les bois et qui plus tard, nous amèneront leur gosses à eux aussi. Tous les jours j'lui rapporterai des tonnes et des tonnes de fleurs. Bien sûr, y'aura -forcément- une guerre, mais nous on sera pas séparé. Les bombes tomberont partout sur la colline et autour de la ferme mais nous on s'en foutra, on se passera juste de la musique, et on montera le son au maxi pour couvrir le bruit des bombes et on se serrera super super fort l'un contre l'autre, et on mourra comme ça, en s'regardant dans les yeux, super amoureux et tout.
L'autre jour, on était en cours de sport et le prof a décidé de nous mettre ensemble pour faire des équipes de deux pour le badminton -le badminton, waaah, ça, si c'est pas un truc de fille... Enfin bref, c'est la première fois où je lui ai parlé. Après la classe - et comme le courant passait plutôt bien entre nous - je lui ai demandé si je pouvais la raccompagner chez elle et elle a accepté. Waouh, vous dire comment j'étais heureux j'pourrais sûrement pas, mais croyez-moi je l'étais sacrément. Sur le chemin de chez elle, on a parlé de tout et de rien et quand elle m'a dit au-revoir, j'voulais pas la quitter, rester avec elle, comme ça, à discuter, toute ma fichue vie. A parler de ce qu'elle voudrait, elle. Alors elle m'écouterait débiter mes conneries simplement parce qu'elle serait amoureuse de moi. Ce fut là l'un des plus beaux jours de toute ma vie. Sur le chemin du retour, j'arrêtais pas de penser à ce qu'elle m'avait dit, que le soir quand le soleil se couchait, elle se levait de son lit et écrivait des tas et des tas de poèmes. Sûr qu'elle voudra jamais me les montrer, mais bon dieu, si je pouvais lui en écrire, rien qu'un ou deux, juste pour lui montrer que moi aussi, j'sais écrire des poèmes et tout. A coup sûr ça donnerai des trucs comme ça...
Et j'appellerai ça L'amour-eux...