- Le Sexe -
Y'avait de la neige partout. Partout. Il faisait sacrément froid. Les rues étaient toutes blanches. On aurait dit qu'il y avait des draps blancs qui recouvraient tous les murs de la ville entière. Comme il faisait froid, Justine avait pris ses petits gants en laine blanche qui la rendait si mignonne. On voyait bien que Justine savait qu'elle était jolie et tout mais c'était une chouette fille quand même. Et puis on s'amusait drôlement bien tous les deux. On se baladait souvent la nuit dans les rues éclairées par tous ces néons des magasins. Y'en avait de toutes les couleurs : des verts, des roses, des bleus. C'était drôlement beau à voir. Justine, c'était une fille qui riait tout le temps maintenant et qui aimait tout faire tout le temps. On s'faisait des cinés -des films pourris, bien sûr-, des ballades, de la patinoire et plein de choses de ce genre-là mais ce soir-là, non, vraiment, rien ne m'avait préparé à ce qui allait se passer.
Il devait être vers les cinq heures du soir quand elle m'a appelé. Elle m'a dit que ses parents partaient en week end à la montagne, à Saint quelque chose, je me rappelle plus très bien où... elle m'a aussi dit que je pouvais venir à partir de huit heures et que l'on serait tout seuls chez elle et tout. Et quand elle disait tout seul, c'était pas le genre de tout seul qu'on balance comme ça par hasard, sans faire exprès je veux dire. Bref, à sept heures et demi pétantes, j'ai pris mes gants, mon écharpe tricotée par ma grand mère et mon bonnet bleu qui m'allait si bien et j'suis sorti sous ce sale temps pourri. Comme j'étais un shouia en avance, j'en ai profité pour m'asseoir sur un banc et j'regardai les étoiles briller dans la nuit noire. J'pensais à Justine et au fait qu'elle était quand même drôlement belle pour une fille de son âge -elle avait maintenant vingt ans et ça faisait bien trois ans qu'on se connaissait.
J'suis arrivé devant chez elle et j'allais frapper à la porte quand j'me suis rappelé qu'elle m'avait dit au téléphone de pas le faire, que la porte serait justement ouverte. Alors j'ai pas frappé. La porte grinçait drôlement mais je suis sûr que c'était en quelque sorte fait exprès, comme ça elle savait que j'étais là. Justine était dans sa chambre. Elle m'a dit de monter et qu'elle m'attendait. J'me suis alors déchaussé et j'ai ôté mon blouson que j'ai posé sur ce fauteuil en cuir rouge très chouette. Il faisait sacrément chaud chez elle. Je sais pas si c'était la chaleur ou quoi mais j'suais à grosses gouttes comme jamais j'avais sué de ma vie. Et plus je montais les escaliers, plus j'entendais la voix de Justine. Elle me disait "viens, viens... Monte vite s'il te plait, je n'en peux plus…" et le tout d'une voix sensuelle et tout. Attention, pas le genre de voix innocente qui est faite par hasard, mais le genre de voix innocente qui est justement faite pour ne pas être si innocente que ça, si vous voyez ce que je veux dire… Waouh, j'en pouvais plus, j'étais comme qui dirait en chaleur et puis je l'ai vu. Elle était là, allongée sur son lit, dans une robe rouge tout ce qu'il y avait de transparent.
J'me suis alors assis à côté d'elle, et, doucement, de ses jolis petits doigts tous mignons, elle déboutonna un à un les boutons de ma chemise, puis ceux de mon pantalon. J'étais nu, complètement nu je veux dire. Alors j'ai enlevé sa robe à elle aussi. Elle était si belle. Le corps d'une déesse. Ni plus ni moins. Ses lèvres se collèrent contre les miennes et on n'avait toujours pas dit le moindre mot. Dans nos regards, y'avait une telle intensité que parler ça aurait servi à rien, et puis parler pour quoi dire ? Donc j'me trouvais là, et c'était drôlement beau. C'était pur je veux dire. Voyez, dehors y 'avait toute cette société, toute ces usines, ces fumées, ces voitures qui roulaient à toute vitesse, ces gens qui couraient dans tous les sens, et nous, nous, on était là, et on se regardait, et on s'embrassait. Sa bouche descendit là où y'a ce truc supposé interdit -vous savez, cet endroit vachement intime dont on évite toujours de nous parler quand on est môme mais qu'on sait quand même ce que c'est et surtout à quoi ça sert - eh ben c'était pas sale et tout, non, c'était juste de l'amour. Ouais, c'était la vie. On était baignés comme dans une source de lumière dans laquelle nos corps transis s'abreuvaient et s'abreuvaient à l'infini des temps. Ses mains me caressaient, me parcouraient. Elle était si pulpeuse, si parfaite, encore mieux que dans tous mes rêves, et dieu sait si j'en ai rêvé, de cet instant là... C'est clair que c'était du sexe, mais c'était d'abord de l'amour et tout.
Les gens disent qu'il y'a des choses qui se font pas mais moi je préfère les faire parce que Justine dans mes bras, Justine partout en moi et dans moi, c'est d'abord l'acte de l'amour qui s'accomplit. Je veux dire si on a envie de faire ça ou ça, faut pas se retenir, faut pas être gêné ou quelque chose comme ça, faut le faire et puis le vivre. Intensément. Parce que on sait jamais si il y en aura d'autres, de ces moments-là. A la limite -et même pas à la limite du tout d'ailleurs- c'que les autres y pensent, on devrait tous s'en foutre. Après tout, on a qu'une seule vie, non ?
Cette nuit-là, on a tout fait. C'était drôlement chouette. Si je pouvais recommencer, je le referais tout de suite. C'était beau, c'était sale mais c'était surtout pur.
C'était Nous. Juste Nous.